Delphes
« Cher toi,
Je sais que je devais t’écrire ce soir. J’aurais pu préparer ce que j’aurais à t’écrire mais à quoi bon ?
J’ai tenu ma garde comme je m’étais engagée à le faire et j’ai pensé à toi qui veillait aussi sur ta caserne. Tu avais peur, tu ne voulais pas être là. À l’époque tu étais encore prêtre et l’habit t’avait épargné le front. Tu ne devrais qu’une chose : rejoindre les enfants du village et continuer la classe avec eux en chantant. Quelle connerie, cette guerre. Pourquoi allez emmerder ces pauvres gens qui n’ont rien demandé ? Pendant que certains se battaient, torturaient ou violaient des femmes, tu jouais au foot dans une rue de la grande Kabylie.
J’ai cru voir Alger la blanche que je n’ai jamais vue, dans la blancheur irradiante de quelques immeubles parisiens. J’ai pensé au Maghreb et à celles et ceux qui allaient rompre le jeun quand je romprai ma garde.
Je l’ai fait. Je me croyais incapable, moi qui ne tiens pas en place, moi qui gigote sans cesse. Comme quoi, tout est possible. J’étais dans les faveurs du ciel, auréolée par un rectangle lumineux. Un cadre me protège, le garde, garde la ville qui va s’endormir doucement. Nous sommes reliés, ensemble, à l’infini, qu’on le veuille ou non.
Prends soin de toi et dis bonjour aux enfants. »
Delphes